Mais c’est tout à fait impossible. D’abord, il me semble que la coque n’est pas encore solidement assise sur les rochers. Peut-être se décrochera-t-elle avant que la marée soit descendue : je la vois bouger chaque fois qu’une grosse vague passe dessous. Il serait dangereux d’y pénétrer déjà. Ensuite, je ne tiens pas à ce que mon canot aille se fracasser contre les brisants. Et c’est ce qui arriverait si nous étions imprudents. Non, Annie, il faut attendre jusqu’à demain. Ton idée est excellente, François. Nous nous débrouillerons pour être ici de bonne heure. En attendant, tenons notre langue. Quand les grandes personnes seront au courant, vous pouvez être sûrs qu’elles estimeront que c’est à elles d’inspecter l’épave. »

Un moment encore les quatre enfants se régalèrent du spectacle offert par le bizarre vieux navire, puis ils reprirent la visite de l’île, si fâcheusement interrompue par la tempête. L’île de Kernach était loin d’être vaste, mais elle offrait un énorme intérêt avec sa côte rocheuse, son port abrité, le château en ruine, la tribu jacassante des choucas et enfin les amusants lapins sauvages qui couraient de tous côtés.

« J’adore cet endroit, confia Annie à sa cousine. Je l’adore… il n’y a pas d’autre mot ! Ton île est juste de la dimension qu’il faut pour avoir l’air d’une île ! Les îles qui sont trop grandes ne donnent pas l’impression d’en être. Comprends-tu ce que je veux dire ? Prends la Grande-Bretagne par exemple. C’est une île, mais les gens qui y habitent ne le sauraient pas si on ne leur avait pas dit. Tandis que ton île à toi ne trompe personne parce que, de quelque côté qu’on se tourne, on aperçoit la mer. Je n’ai jamais rien vu d’aussi joli ! »

En écoutant Annie, Claude éprouvait une joie profonde. Elle était très souvent venue sur son île auparavant, mais toujours seule avec Dagobert. Au fond d’elle-même elle s’était bien promis de ne jamais, jamais emmener personne dans son beau royaume. Il lui semblait qu’une présence étrangère aurait défloré son île à ses yeux. Mais elle n’avait pas tenu cette promesse faite à elle-même : elle avait conduit ses cousins dans son domaine enchanté… et celui-ci, à présent, ne lui en semblait que plus merveilleux encore. Pour la première fois, Claude commençait à comprendre qu’on double son plaisir en le partageant avec quelqu’un.

« Attendons encore un peu que les vagues se calment, conseilla-t-elle, puis nous rentrerons à la maison. Je crois qu’il va se remettre à pleuvoir et nous allons encore nous mouiller. Il ne faut pas compter être là-bas pour l’heure du goûter : nous aurons à ramer avec la marée contre nous, vous savez ! »

Après toutes leurs aventures de la matinée, les quatre enfants ressentaient la fatigue. Durant le trajet de retour, ils n’échangèrent que de rares paroles. Chacun à tour de rôle souqua dur aux avirons, excepté Annie qui n’était pas assez forte pour ramer contre le flot. De temps à autre, tout en s’éloignant de l’île, ils se retournaient pour lui jeter un coup d’œil. D’où ils se trouvaient à présent ils ne pouvaient apercevoir l’épave, échouée sur la côte ouest, face au large.

« C’est une chance qu’elle soit de ce côté, déclara François. Comme ça, personne ne peut la voir de la terre. Et nous reviendrons l’explorer demain de si bonne heure qu’aucun pêcheur n’aura encore pris la mer. Je propose que nous nous levions dès l’aube.

— Oui, ce sera assez tôt, acquiesça Claude. Mais aurez-vous le courage de vous tirer du lit ? Il m’arrive parfois de sortir dès le petit jour, mais cela n’est pas dans vos habitudes, je crois ?

— Ne t’inquiète pas, répondit François. Nous nous réveillerons à l’heure… Ah ! Nous voici enfin presque arrivés. Ça me fait rudement plaisir, vous savez ! Je ne sens plus mes bras à force de tirer sur les avirons. Et puis j’ai une telle faim que je me crois capable de dévorer toutes les provisions de tante Cécile.

— Ouah ! » aboya Dagobert pour exprimer une opinion semblable quant à la capacité de son estomac.

« Il faut que je ramène Dag à Jean-Jacques, déclara Claude en sautant hors du canot. Tire le bateau sur la plage, François. Je vous rejoins dans quelques minutes. »

Un peu plus tard les quatre enfants se trouvèrent réunis à la table du goûter. Tante Cécile leur avait distribué de grands bols de chocolat fumant qu’ils dégustèrent avec des tartines beurrées et un énorme cake préparé tout spécialement à leur intention. Pendant un moment on n’entendit que le bruit de mâchoires en pleine action. Les convives trouvèrent le gâteau tellement à leur goût qu’ils n’en laissèrent pas une miette. Jamais, déclarèrent-ils, ils n’avaient mangé rien de meilleur.

« Avez-vous passé une bonne journée ? demanda tante Cécile quand son petit monde fut enfin rassasié.

— Oh ! oui, répondit Annie avec vivacité. Nous avons assisté à une magnifique tempête, et nous avons vu s’écraser sur les rochers…»

François et Mick lui donnèrent en même temps un coup de pied sous la table. Claude essaya bien d’en faire autant de son côté mais elle était trop loin d’Annie pour l’atteindre. Celle-ci jeta un regard furieux à ses frères et des larmes lui montèrent aux yeux.

« Allons, bon, que se passe-t-il ? s’inquiéta tante Cécile. Quelqu’un t’a-t-il donné un coup de pied, Annie ? En vérité, mes enfants, voilà des manières que je ne tolérerai pas.

Si vous continuez ainsi, la pauvre Annie va se trouver couverte de bleus. Qu’est-ce que vous avez vu s’écraser sur les rochers, ma chérie ?

— Des vagues hautes comme des maisons », expliqua Annie en jetant un regard de défi aux autres. Elle comprenait bien que tous trois s’étaient attendus à lui entendre dire « l’épave de Claude », mais pas un seul instant elle n’en avait eu l’intention. Ils s’étaient trompés et lui avaient donné des coups de pied sans raison valable.

« Pardonne-moi de t’avoir fait mal, s’excusa François, navré. Mon pied a glissé.

— Le mien aussi, ajouta Mick. Oui, tante Cécile, nous avons été témoins d’une tempête formidable sur l’île. Les vagues accouraient du fond de l’horizon, si grosses qu’elles ont eu tôt fait d’envahir le petit port. Nous avons été obligés de tirer notre canot jusqu’en haut de la falaise pour le mettre à l’abri.

— À dire vrai, déclara Annie tout heureuse, je n’ai pas eu trop peur de l’orage. En tout cas j’étais moitié moins effrayée que Da…»

Cette fois-ci, on ne pouvait douter qu’Annie fût sur le point de mentionner Dagobert. Aussi les trois autres se dépêchèrent-ils de l’interrompre en se mettant à parler tous à la fois. François ne put même résister à l’envie de décocher à sa sœur un nouveau coup de pied.

« Aïe ! fit Annie.

— Il y a sur l’île des lapins apprivoisés ! cria François.

— Nous avons aperçu des goélands ! hurla presque Mick.

— Et les choucas croassaient tant et plus. Cela faisait un vacarme infernal ! ajouta Claude.

— Ma parole, vous faites vous-mêmes autant de bruit que tous les choucas réunis, déclara tante Cécile en riant. A-t-on idée de parler ainsi tous à la fois ! Allons, avez-vous terminé ? Eh bien, à présent, courez vite vous laver les mains… Mais oui, Claude, je sais bien que tes mains sont poisseuses. C’est moi qui ai fait ce cake et je suis payée pour savoir à quel point peuvent coller les fruits confits dont je l’ai bourré. Ensuite je vous conseille d’aller jouer bien tranquillement dans la pièce voisine, car il pleut et vous ne pouvez songer à sortir. Veille surtout à ne pas déranger ton père, Claude. Il est plongé dans ses travaux. »

Les enfants allèrent se laver les mains.

« Petite imbécile ! siffla François entre ses dents à l’intention d’Annie. Tu as failli nous trahir deux fois coup sur coup !

— Ce n’est pas vrai ! protesta Annie, indignée. La première fois, je ne voulais pas parler de l’épave, et…»

Claude lui coupa la parole. « Je préférerais que tu divulgues le secret de l’épave plutôt que celui de Dagobert ! s’écria-t-elle.

En tout cas, le moins qu’on puisse dire, c’est que tu as une terrible langue !

— C’est vrai, reconnut Annie, pleine de remords. Je crois qu’à l’avenir il vaudra mieux que je n’ouvre plus la bouche pendant les repas. J’aime tant Dagobert que je ne peux m’empêcher de parler de lui à tout bout de champ. »

Là-dessus les enfants allèrent jouer dans la pièce contiguë à la salle à manger. Avisant une table, François la retourna avec fracas.

« Nous allons jouer aux épaves, annonça-t-il. Cette table figurera un bateau naufragé que nous explorerons. »

La porte s’ouvrit toute grande derrière lui, livrant passage à une personne visiblement furieuse. C’était le père de Claude !

« Que signifie tout ce bruit ? demanda l’oncle Henri. Claude ! Est-ce toi qui as retourné ce meuble ?

— Non, mon oncle. C’est moi ! avoua François avec franchise. J’avais oublié que vous travailliez.

— Continuez comme ça et je vous condamne à passer au lit toute la journée de demain ! fulmina l’oncle Henri. Claudine ! Veille à faire tenir tranquilles tes cousins ! »

La porte se referma sur M. Dorsel. Les enfants échangèrent des regards consternés.

« Ton père est bien sévère ! constata François. Je suis navré d’avoir fait tant de bruit. Ça m’apprendra à être moins étourdi !

— Amusons-nous à un jeu tranquille, conseilla Claude, sinon papa mettra sa menace à exécution et nous serons obligés de rester couchés demain alors que nous sommes si impatients de visiter l’épave. »

C’était là une terrible perspective. Silencieusement, Annie alla chercher une de ses poupées et se mit à jouer. Elle s’était fort bien débrouillée, malgré tout, pour emporter un nombre respectable de ses « filles ».

François, de son côté, prit un livre. Claude s’empara d’un joli petit bateau qu’elle s’occupait à façonner dans un morceau de bois durant ses moments de loisir. Mick, lui, se contenta de s’étaler dans un fauteuil en songeant à leur expédition du lendemain.

Dehors, la pluie tombait sans arrêt, mais les quatre enfants espéraient bien qu’elle cesserait avant le matin.

« Il faudra que nous soyons debout de très bonne heure, rappela soudain Mick en bâillant. Je propose que nous nous couchions tôt ce soir. Qu’en pensez-vous ? Je me sens fatigué d’avoir tenu si longtemps les avirons. »

Ordinairement, aucun des enfants n’aimait aller au lit très tôt. Mais ce soir-là l’exaltante perspective d’explorer l’épave les incita à déroger à leurs habitudes. Il fallait être en bonne forme pour la grande aventure.

« D’ailleurs, fit remarquer Annie en abandonnant sa poupée, si nous nous endormons tout de suite, le temps nous paraîtra moins long d’ici à demain matin.

— Mais que va penser maman si nous parlons de monter si tôt après le goûter ? s’inquiéta Claude. Elle va certainement s’imaginer que nous sommes malades. Non, croyez-moi, attendons jusqu’au souper. Nous pourrons dire alors que nous sommes fatigués d’avoir ramé – ce qui est d’ailleurs la vérité ! Ainsi nous passerons tout de même une bonne nuit et nous serons dispos demain matin pour entreprendre l’exploration de l’épave. Ce sera palpitant, vous verrez !

Ce n’est pas à tout le monde qu’il est permis d’aller fouiller l’intérieur d’un vieux navire naufragé… surtout après qu’il a séjourné aussi longtemps au fond de la mer ! »

Suivant le conseil de Claude, les enfants montèrent se coucher sitôt la dernière bouchée de leur repas avalée. À huit heures, tous quatre étaient au lit, ce qui ne laissa pas d’étonner grandement tante Cécile.

À peine Annie se fut-elle allongée entre les draps qu’elle s’endormit. François et Mick, eux non plus, ne furent pas longs à trouver le sommeil. Mais, contrairement à ses cousins, Claude demeura éveillée assez longtemps. Elle pensait à son île, à son épave et, bien entendu, à son cher Dagobert !

« J’emmènerai Dago avec nous, songea-t-elle avant de s’endormir. Nous ne pouvons pas le laisser en arrière. Lui aussi participera à l’aventure ! »

Club des Cinq 01 Le Club des Cinq et le trésor de l'île
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